Faut-il se supplémenter en chrome pour les femmes atteintes du syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) ?

Le chrome est un oligo-élément (minéral) connu pour son action moléculaire sur l’insuline et la glycémie de manière générale ! Il est souvent utilisé dans tout type de produit promettant une perte de poids comme les brûleurs de graisse car le chrome permettrait d’améliorer la perte de poids chez des sujets sains et diabétiques via son action sur la glycémie et l’insuline !

Un des symptômes du SOPK est la présence assez fréquente et systémique de l’insulino-résistance. L’augmentation de l’insuline engendrerait une augmentation de la production d’androgène qui est un des critères de diagnostic du SOPK. En d’autres termes, les femmes SOPK ont plus de testostérone, de DHEA responsable de divers symptômes comme l’acnée, l’hirsutisme (pilosité) etc…

La seule question que nous nous poserons est la suivante : Est-ce que le chrome peut avoir des effets favorables sur la régulation de l’insuline et des androgènes et donc sur les symptômes ?

LE DUEL : Tang VS Fazelian !

En 2017, 2 études sur le sujet se confrontent et ont des conclusions radicalement différentes. Elles étudient la supplémentation en picolinate de chrome (CrP) chez des femmes ayant le SOPK. L’une conclut que le chrome n’apporte pas de bénéfice tandis que l’autre mentionne le contraire sur certaines variables ! La difficulté réside donc dans le fait de savoir laquelle des deux études est la plus pertinente afin de faire des recommandations aussi éclairées que possible.

L’étude de 2017 de Tang et al regroupe 6 études contrôlées randomisées avec 351 femmes atteintes du SOPK pour observer les résultats sur 3 variables (1) :

  1. Le métabolisme glucidique (insuline à jeun, L’HOMA-IR (insulino-résistance), QUICKI (insulino-sensibilité), IMC, glycémie à jeun)
  2. Le statut hormonal (testostérone libre ET totale, LH, FSH, Prolactine)
  3. Le profil lipidique (cholestérol, triglycérides)

Toutes les études étaient de qualité modérée à élevée cependant il y avait une puissance statistique relativement faible ce qui signifie qu’il n’y a pas suffisamment d’études et/ou de sujets pour y développer une certitude. La qualité de la méta-analyse nous laisse à penser que la conclusion donnera une très bonne indication pour les futures recherches. Les résultats de Tang sont les suivants :

On constate qu’aucun résultat n’est significatif hormis 2 d’entre eux : la légère diminution de la résistance à l’insuline et l’augmentation de la testostérone libre ! Sur cette base, les chercheurs ont effectués une analyse de sous-groupe car la metformine (médicament) aurait pu diminuer les effets du chrome dans la moyenne globale compte tenu de ses effets bénéfiques sur la glycémie contrairement au placebo ! Les résultats des études utilisant exclusivement un placebo comme comparaison sont les suivants :

On constate alors exactement la même chose sur la testostérone libre ainsi que sur les autres variables à savoir que la supplémentation en chrome n’a pas d’effet bénéfique particulier et est même associé à une amplification du taux de testostérone ce qui est contraire à l’amélioration du SOPK.

L’étude de 2017 de Fazelian et al, quant à elle, regroupe 7 études contrôlées randomisées dont 5 sont identiques à l’étude de Tang ! La méta-analyse de Fazelian ne mentionne aucune information sur les potentiels biais et l’évaluation de la qualité des études. Tous les résultats ne sont pas présentés et les informations données par le document sont faibles en comparaison avec Tang qui a pourtant 1 étude de moins. Il se pourrait que les critères d’inclusions et d’exclusions ainsi que les résultats souhaités par les chercheurs aient influencé leurs travaux cependant le seul moyen d’en être sur est de vérifier le reste de la littérature sur le sujet.

L’étude de Tang est plus qualitative et donne plus d’information, il n’apporte pas les mêmes conclusions ayant les mêmes références que Fazelian. Par conséquent, l’étude de Tang est plus pertinente via son analyse et sa qualité.

Que nous dit le reste de la littérature ?

Bien que les méta-analyses de Tang et Falezian datent de 2017, Il en existe 2 autres publiées en 2018. Les 4 études ont effectué leur recherche jusqu’au début/milieu 2017 avec une différence dans les bases de données étudiées, ce qui donne moins de crédit à l’étude de Falezian comme le mentionne la méta-analyse de Hechmati (3)

Cette étude n’était pas exhaustive car trois bases de données importantes, dont
Scopus, Embase et la bibliothèque Cochrane, n’ont pas été consultées.

Hechmati et al, 2018

Hechmati comprend 5 études contrôlées randomisées dont 4 similaires à Tang et à Falezian. Elle conclut à un effet nul sur l’insuline à jeun, l’indice QUICKI (insulino-sensibilité) et à la diminution de l’HOMA-IR (insulino-résistance) conformément aux résultats de Tang ! Cette méta-analyse n’a pas pris en considération le statut hormonal ni le bilan lipidique contrairement à leurs prédécesseurs.

L’étude de Maleki et al, 2018 (4) comprend 6 études contrôlées randomisées dont 5 similaires à Tang et à Falezian. Elle analyse, comme Tang, tous les facteurs à savoir le contrôle glucidique et lipidique ainsi que le statut hormonal. Ils s’opposent aux résultats de Falezian en ce qui concerne l’IMC et mentionne qu’il n’y a pas de diminution ni d’impact significatif sur ce dernier et sur la perte de poids. Les autres conclusions suivent celles de Tang et de Hechmati à savoir qu’aucun effet particulièrement bénéfique n’est retrouvé dans le statut hormonal, le bilan lipidique et le contrôle glucidique.

Seule la légère diminution de l’HOMA-IR reste quelque chose de commun à toutes les études et est mentionnée par Maleki également.

EXPLICATIONS DES DIFFÉRENTES CONCLUSIONS

Comment justifier le fait que Fazelian ne mentionne pas les mêmes résultats alors qu’une grande partie de ses références sont similaires à celles des autres auteurs ? Comment justifier les autres différences de résultat entre les différents auteurs ?

Pour Falezian, c’est, en réalité, relativement simple :

  1. Il n’a pas effectué de recherche dans 3 bases de données assez connues ce qui a pu influencer le choix des études incluses.
  2. Il ne présente pas d’analyse de qualité des différentes études et mentionne seulement partiellement les données sous forme de diagramme et/ou graphique ce qui signifie qu’on doit lui faire confiance plutôt qu’avoir concrètement les résultats des études incluses.
  3. Il est le seul à présenter une diminution significative de l’IMC et dans le même temps une diminution de l’insuline à jeun et du taux de testostérone. En allant chercher plus loin, on constate que si l’IMC reste stable, les taux d’androgènes et le contrôle glucidique, hormis l’HOMA-IR, restent stable également. Un IMC qui diminue signifie qu’il y a eu une perte de poids dans l’intervention (intentionnelle ou non) et nous savons que la perte de masse grasse diminue les taux d’androgènes et améliore le contrôle glucidique en général, ce qui est d’ailleurs repris et confirmé dans la méta-analyse de Maleki. Est-ce réellement le chrome qui a induit une diminution de l’insuline à jeun et de la testostérone ou est-ce la perte de poids confirmée par la diminution de l’IMC ? Il semblerait, selon les données globales, que le chrome ne soit pas déterminant pour l’insuline à jeun et les taux d’androgènes.

Pour les autres auteurs :

  1. Il peut s’agir d’une différence dans les critères d’inclusions et d’exclusions qui a influencé légèrement l’inclusion d’une ou deux études.
  2. Les variables ne sont pas toutes analysées (Hechmati).

Dans l’ensemble, ils sont en accord pour mentionner qu’il y a une grande hétérogénéité (résultats hétérogènes) et que la puissance statistique est faible ce qui ne donne pas une certitude absolue quant aux données que l’on a actuellement.

CONCLUSION : DOIT-ON RECOMMANDER LE CHROME ?

Bien qu’il existe des limites comme dans toutes études scientifiques, les données et études les plus qualitatives semblent démontrer l’échec de la supplémentation en picolinate de chrome à hauteur de 200 à 1000ug dans l’amélioration de la santé des femmes en SOPK. La supplémentation en chrome semble donc inutile en ce qui concerne les taux d’androgènes, la régulation de la dyslipidémie ainsi que la régulation de la glycémie à jeun, de l’insulino-sensibilité, de l’insuline à jeun, de l’IMC et de la perte de poids. Elle peut être utile uniquement en ce qui concerne l’insulino-résistance, néanmoins cela soulève d’autres questions à savoir si la légère diminution de l’HOMA-IR est assez pertinente pour conseiller une dépense financière supplémentaire à ces femmes en sachant qu’il existe d’autres moyens de diminuer la résistance à l’insuline et que cet achat ne régulera pas les niveaux d’androgènes.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Tang XL, Sun Z, Gong L. Chromium supplementation in women with polycystic ovary syndrome: Systematic review and meta-analysis. J Obstet Gynaecol Res. 2018 Jan;44(1):134-143. doi: 10.1111/jog.13462. Epub 2017 Sep 20. PMID: 28929602.
  2. Fazelian S, Rouhani MH, Bank SS, Amani R. Chromium supplementation and polycystic ovary syndrome: A systematic review and meta-analysis. J Trace Elem Med Biol. 2017 Jul;42:92-96. doi: 10.1016/j.jtemb.2017.04.008. Epub 2017 Apr 21. PMID: 28595797.
  3. Heshmati J, Omani-Samani R, Vesali S, Maroufizadeh S, Rezaeinejad M, Razavi M, Sepidarkish M. The Effects of Supplementation with Chromium on Insulin Resistance Indices in Women with Polycystic Ovarian Syndrome: A Systematic Review and Meta-Analysis of Randomized Clinical Trials. Horm Metab Res. 2018 Mar;50(3):193-200. doi: 10.1055/s-0044-101835. Epub 2018 Mar 9. PMID: 29523006.
  4. Maleki V, Izadi A, Farsad-Naeimi A, Alizadeh M. Chromium supplementation does not improve weight loss or metabolic and hormonal variables in patients with polycystic ovary syndrome: A systematic review. Nutr Res. 2018 Aug;56:1-10. doi: 10.1016/j.nutres.2018.04.003. Epub 2018 Apr 13. PMID: 30055769.

Catégories :

Aucune réponse

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *